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Camille Juillet - le blog

2 septembre 2012

Divagations

 

— Savez-vous ce qui pourrait bien avoir manqué à de nombreux régimes sur cette Terre ?

— Le temps ? L’intelligence ? L’honnêteté ?

— Non. Il leur a manqué quelque chose qui était antinomique aux uns, et excessif chez les autres.

— C’est illogique, ce que vous dites. Si c’était antinomique aux uns, cela ne peut leur avoir manqué ; si c’était excessif chez les autres, non plus.

— Je n’y peux rien. C’est ainsi. Devinez.

— Je n’en sais rien. Qu’est-ce que cette chose, alors ?

— L’idée d’une transcendance, quelle qu’elle soit. Un idéal, si vous voulez. Nous avons sans doute du mal à comprendre ces idées-là aujourd’hui, où tout se ressemble, où tout n’est question que de circonstances. C’est tellement loin, tout ça… Certains appelaient ça « dieu »…

— Un idéal ! Qu’est-ce que c’était, au juste ?... Loin, dites-vous ! Tellement loin que nous ne serions pas obligés de voter la fin du monde tout à l’heure, si simplement, oui, si simplement, tiens, au hasard !, le communisme avait été différent… S’il n’avait pas donné lieu à la société de consommation… On n’en serait pas à la Terre-Poubelle.

— Cela dit, je vous conseille de ne pas vous lancer là-dedans tout à l’heure, si vous ne voulez pas faire partie de la curée…

— Je sais bien. Vous ne voulez pas en être, je suppose ?

— Quelle question ! La fin du monde, c’est toujours pour les autres, mon cher ! Je me contenterai de la voter. C’est notre devoir, comme vous le savez.

— Oui. Mais vous ? Savez-vous quels étaient, sous le communisme, les critères d’attribution des appartements avec balcon ? Qu’est-ce qui faisait qu’un citoyen ou une famille se voyait attribuer un appartement avec balcon, et d’autres sans balcon ? Déjà, pourquoi y avait-il des appartements différents des autres ? C’est là toute la question, je pense, l’origine du ver dans le fruit...

— Taisez-vous. Si vous n’arrêtez pas immédiatement, je vous dénonce. Vous serez exclu du Grand conseil. Plus de voiture, plus de sacs-poubelle pour vos déchets, plus RIEN. Et vous ferez partie…

— De la curée, oui, oui, je sais. Tandis que vous…

— Vous êtes fou !

— Tandis que vous, après la fin du monde, que vous restera-t-il ? Vous croyez que ce sera le Paradis ? Vous crèverez comme les autres, à cause des autres, à cause de l’absence des autres. Je vous le promets : vous crèverez d’ennui sur vos chaises vides ! Que vous manquera-t-il, ce jour-là, mon cher ? Ce sera la drogue dure, l’opium du peuple, je vous le dis… Mais il n’y aura plus de fournisseur…

 

Camille Juillet – Septembre 2012

 

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28 mai 2012

Au cœur des ténèbres - Pentecôte 2012

 Tu ne nieras point.

J’ai commencé samedi 26 et achevé lundi 28 mai 2012 un livre qui m’a glacé le sang : Au cœur des ténèbres (The Heart of Darkness) de Joseph Conrad (1902). Je n’ai pas d’attirance particulière pour Conrad. Mais à l’étal du bouquiniste, il y a deux mois environ, ce titre-là m’avait attirée, m’évoquant le boyau noir par lequel, échelon après échelon, on pourrait parvenir au centre de la Terre et de soi-même – pour ressortir un jour, peut-être, de l’autre côté du miroir des apparences. Initiatique est le mot. C’est ainsi que je voyais les choses en ce qui concerne le titre de ce livre que j’avais envie d’acheter ; l’illustration (luxuriance verte du Douanier Rousseau) et une citation de Julien Green en quatrième de couverture firent le reste. L’ouvrage, d’occasion donc, avait appartenu à un incertain Claude Rip. (que je salue au passage) qui avait apposé son tampon souligné d’un paraphe au stylo sur la page de garde, surligné quelques passages en jaune et reporté, sur les pages vierges de la fin, trois références : « 121 – 184 Kurtz – 190 Conrad halluciné – 190-191 Combat avec la mort. »

Glacé le sang. Si je devais retenir un seul mot de ce livre, ce serait celui qui, répété, forme les dernières paroles de Kurtz, le personnage dont cette histoire est la recherche : « Horreur ! Horreur ! ». Une horreur (que chacun définira pour soi), telle est la révélation que réserve au lecteur la quête de ses propres ténèbres en ces pages, comme à Kurtz celle de l’ivoire en Afrique. Ses exactions, ses meurtres, ses profanations, son noir et blanc sont les nôtres. Je ne qualifierais pas, comme le fait Green, l’art de Conrad « tout en symboles, d’une richesse magnifique ». Ce symbolisme, pour résumer : un continent blanc sur la carte qui vire au noir sous le soleil, symbolisme ostensible et presque agaçant au départ, s’atténue au mélange du noir des mots et de la page blanche et donne finalement à cette histoire valeur de conte. « Il s’agit bien d’un conte », dit J.-J. Mayoux dans sa préface, « et non de la transcription en récit d’une réalité. » Ce dernier membre de phrase me convient moins. Il s’agit d’un conte, mais aussi de la réalité. Le Kurtz qui « occupait un siège élevé parmi les diables de cette terre » existe aussi en nous. Et par cet ignoble, nous ne pouvons nous empêcher d’être attiré aussi, de même qu’il était impossible, malgré tout, de ne pas aimer Kurtz.

Il faut avoir le courage de l’admettre et, du même coup, celui de renoncer à une croyance misogyne qui parcourt tout le livre : celle en un monde qui serait réservé aux femmes, un monde « sans contact avec le vrai »… Car la prétendue pitié au nom de laquelle Marlow, le narrateur masculin, cache à la fiancée de Kurtz les derniers mots de son amant, est-elle un pieux mensonge ou plus prosaïquement un effet de sa lâcheté à ne pas oser dire ce qui eût été « absolument trop ténébreux » ?...

Ce mensonge diabolique – un des meilleurs passages du roman – reste sans conséquence : « Rien n’arriva. Le ciel ne tombe pas pour de pareilles broutilles ». Oui, le diable est une banalité. Mais il faut rester en alerte et veiller. J’ai la première fois consciemment senti la présence palpable de Satan il y a une quinzaine d’années, alors que j’en discutais avec un ami. Lui a complètement oublié cette conversation, qui pourrait donc tout aussi bien, diraient certains, n’avoir jamais eu lieu. Et pourtant, si. Ne nions point.

 

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27 avril 2012

Livre de sable en langue d'eau - Yoko Tawada

Yoko Tawada est sans aucun doute l'un de mes auteurs contemporains préférés. Son écriture est multiforme, multilingue, insaisissable mais saisissante, mystérieuse.

Elle même l'est.

Elle me fait penser à ce qu'Alice Miller dit de Kafka (qui est d'ailleurs une des références de Tawada - et l'une des miennes) : "Son aptitude à voir dans le concret la généralité, et à la représenter malgré tout concrètement".

J'admire aussi sa prouesse de pouvoir écrire dans une langue autre que sa langue maternelle. J'aurais aimé pouvoir le faire, en japonais.

J'ai eu la chance de la voir à deux reprises. Lors d'une lecture récente, elle a évoqué les Métamorphoses d'Ovide et de Kafka. J'aurais voulu lui parler du livre de David Garnett, La Femme changée en renard, mais je n'ai pas osé. Il faut savoir que Yoko Tawada est aussi l'auteur d'une nouvelle qui a pour titre : Le Mari était un chien (que je n'ai pas encore lue).

Son dernier livre traduit en français est le Journal des jours tremblants - Après Fukushima (Verdier, 2012). Je me suis librement inspirée de cette lecture et d'autres textes pour écrire un article intitulé Livre de sable en langue d'eau, qui est paru dans la Revue des Ressources aujourd'hui, 27 avril 2012.

Un livre de sable peut-il résister à un tsunami ?
A quoi ressemble un livre avant la naissance de son auteur ?
Quelle est la mission des sirènes ?
 
On pourra trouver dans cet article quelques réponses à ces questions essentielles...
C'est ici :
La Revue des Ressources : http://www.larevuedesressources.org/

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16 avril 2012

Navires inconnus

Habiter (dans) un port, ça s'apprend, et en même temps, ça ne devient jamais une habitude :

« Quiconque est vraiment disposé à habiter une city portuaire doit s’attendre à tout moment à ce que surgisse un navire inconnu. »

Yoko Tawada, Journal des jours tremblants (Verdier, 2012)

15 avril 2012

Qui suis-je ?

J’ai porté plusieurs noms, plusieurs prénoms. J’ai souvent été quelqu’un d’autre. Autre, c’est-à-dire différente de la personne qui s’adresse aujourd’hui à vous par-delà les écrans, et encore différente de cette autre personne.

Au-delà des écailles et des mues, quelque chose a toujours été là : ce mouvement de ma main gauche, cursive sur le papier, qui trace des mots. Voir naître les mots dans n’importe quel sens et les regarder devenir lignes, remplir un espace puis s’envoler de cet espace : un mouvement élabore une histoire. Je ne suis pas digital native. Il y avait les stylo-bille baveux, les gommes à encre qui trouaient les feuilles, les miracles du « blanc » et de l’effaceur. Il y a toujours la force et le plaisir des ratures, les pages déchirées, la solitude des derniers mots. Ma vie est faite de ces traits. Ce sont ces traits qui imaginent aussi la ligne à suivre et à venir, pas seulement celle qui est en train de se dérouler sous vos yeux.

J’ai pu rêver d’un corps manuscrit, d’une peau couverte d’écritures, palimpseste et tatouage aussi. Etre un signe vivant… En attendant, je peux écrire partout et avec n’importe quoi. Le rituel est en moi. Qu’il s’agisse de papier ou d’écran, de stylo ou de clavier, l’enjeu reste le même : écrire si on a quelque chose à dire à quelqu’un d’autre que soi. Pour qu’écrire ait un sens, il faut que cette ligne soit un lien entre ce que j’écris et ce que vous lisez.

Bienvenue sur cet espace libre et infini d’écriture.

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