Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Camille Juillet - le blog
28 mai 2012

Au cœur des ténèbres - Pentecôte 2012

 Tu ne nieras point.

J’ai commencé samedi 26 et achevé lundi 28 mai 2012 un livre qui m’a glacé le sang : Au cœur des ténèbres (The Heart of Darkness) de Joseph Conrad (1902). Je n’ai pas d’attirance particulière pour Conrad. Mais à l’étal du bouquiniste, il y a deux mois environ, ce titre-là m’avait attirée, m’évoquant le boyau noir par lequel, échelon après échelon, on pourrait parvenir au centre de la Terre et de soi-même – pour ressortir un jour, peut-être, de l’autre côté du miroir des apparences. Initiatique est le mot. C’est ainsi que je voyais les choses en ce qui concerne le titre de ce livre que j’avais envie d’acheter ; l’illustration (luxuriance verte du Douanier Rousseau) et une citation de Julien Green en quatrième de couverture firent le reste. L’ouvrage, d’occasion donc, avait appartenu à un incertain Claude Rip. (que je salue au passage) qui avait apposé son tampon souligné d’un paraphe au stylo sur la page de garde, surligné quelques passages en jaune et reporté, sur les pages vierges de la fin, trois références : « 121 – 184 Kurtz – 190 Conrad halluciné – 190-191 Combat avec la mort. »

Glacé le sang. Si je devais retenir un seul mot de ce livre, ce serait celui qui, répété, forme les dernières paroles de Kurtz, le personnage dont cette histoire est la recherche : « Horreur ! Horreur ! ». Une horreur (que chacun définira pour soi), telle est la révélation que réserve au lecteur la quête de ses propres ténèbres en ces pages, comme à Kurtz celle de l’ivoire en Afrique. Ses exactions, ses meurtres, ses profanations, son noir et blanc sont les nôtres. Je ne qualifierais pas, comme le fait Green, l’art de Conrad « tout en symboles, d’une richesse magnifique ». Ce symbolisme, pour résumer : un continent blanc sur la carte qui vire au noir sous le soleil, symbolisme ostensible et presque agaçant au départ, s’atténue au mélange du noir des mots et de la page blanche et donne finalement à cette histoire valeur de conte. « Il s’agit bien d’un conte », dit J.-J. Mayoux dans sa préface, « et non de la transcription en récit d’une réalité. » Ce dernier membre de phrase me convient moins. Il s’agit d’un conte, mais aussi de la réalité. Le Kurtz qui « occupait un siège élevé parmi les diables de cette terre » existe aussi en nous. Et par cet ignoble, nous ne pouvons nous empêcher d’être attiré aussi, de même qu’il était impossible, malgré tout, de ne pas aimer Kurtz.

Il faut avoir le courage de l’admettre et, du même coup, celui de renoncer à une croyance misogyne qui parcourt tout le livre : celle en un monde qui serait réservé aux femmes, un monde « sans contact avec le vrai »… Car la prétendue pitié au nom de laquelle Marlow, le narrateur masculin, cache à la fiancée de Kurtz les derniers mots de son amant, est-elle un pieux mensonge ou plus prosaïquement un effet de sa lâcheté à ne pas oser dire ce qui eût été « absolument trop ténébreux » ?...

Ce mensonge diabolique – un des meilleurs passages du roman – reste sans conséquence : « Rien n’arriva. Le ciel ne tombe pas pour de pareilles broutilles ». Oui, le diable est une banalité. Mais il faut rester en alerte et veiller. J’ai la première fois consciemment senti la présence palpable de Satan il y a une quinzaine d’années, alors que j’en discutais avec un ami. Lui a complètement oublié cette conversation, qui pourrait donc tout aussi bien, diraient certains, n’avoir jamais eu lieu. Et pourtant, si. Ne nions point.

 

photo0819

Publicité
Publicité
Commentaires
Camille Juillet - le blog
Publicité
Newsletter
Camille Juillet - le blog
Archives
Publicité